Histoire politique et juridique du pays :
Le territoire aujourd’hui connu sous le nom de l’Inde est un territoire très ancien. Les premières traces de présence humaine retrouvées en Asie du Sud remontent à près de 30000 ans. La civilisation de la vallée de l’Indus a commencé au cours du XVIe siècle av. J.-C. Depuis cette période jusqu’à l’indépendance de l’Inde en 1947, le territoire sera divisé en nombreux royaumes et empires se succédant les uns aux autres, comme le royaume de Magadha, au cours du IIIe siècle av. J.-C., ou encore l'Empire maurya (321 à 185 av. J.-C.). On peut aussi citer les royaumes indo-grecs à la suite des conquêtes d’Alexandre le Grand. Ces successions de royaumes et d’empires vont durer jusqu’à la période coloniale et l’arrivée des colons européens. En effet, le sous-continent indien, de par sa taille et sa richesse, attirera l’attention des empires coloniaux européens, désireux de s’emparer des richesses présentes sur ce territoire.
Les premiers à établir une présence en Inde seront les Portugais, avec la création de leur premier comptoir en Inde au début du XVIe. Ils étendront leur influence durant ce siècle, établissant des comptoirs tout le long de la côte indienne et renforçant leur influence sur les territoires et les populations locales. Cependant, la puissance de ces colonies portugaises va décliner, au même rythme que le reste de l’empire colonial portugais, et les possessions portugaises en Inde vont finir par dépendre entièrement de l’Inde britannique à partir de 1870, qui va leur accorder un statut de zone franche, attirant des contrebandiers de la Prohibition américaine en 1920, faisant transiter leur marchandise par ces comptoirs.
Les Danois établiront également une présence en Inde à partir de 1620, même si celle-ci restera plus faible et après avoir progressivement perdus leurs droits et leur influence sur les territoires colonisés face aux Britanniques, le Danemark renoncera définitivement à ses colonies indiennes en 1845. Les Pays-Bas vont aussi établir des colonies en Inde, appelées les Indes néerlandaises, à partir de 1605. Les Néerlandais étendront et maintiendront leur présence en Inde jusqu’à la seconde moitié du XVIIIe siècle. A cette période, les territoires néerlandais seront cédés aux Britanniques, pour les empêcher d'être envahies par les Français. En 1825, les Néerlandais perdront leurs derniers comptoirs commerciaux en Inde.
L’empire colonial français arrivera en Inde en 1668 et s’étendra jusqu’aux environs de 1750, période à laquelle l’Inde française commencera à perdre son influence sur ces territoires face à l’empire colonial britannique, durant la guerre de Sept ans. En 1763, suite au Traité de Paris, la France ne conservera plus que cinq comptoirs en Inde. Arrivés en Inde en 1619, les britanniques vont étendre leur influence sur ces territoires non seulement face à leurs rivaux européens, mais également face aux populations locales. Les Britanniques maintiendront les dirigeants locaux et n’interviendront que très peu dans la sphère religieuse. Ils vont notamment recréer les madrasas, écoles juridico-religieuses musulmanes, pour former le personnel administratif et judiciaire afin d’appliquer le droit musulman en vigueur.
A la fin du XIXe siècle et le début du XXe, des mesures d'autonomie sont prises concernant l'Inde britannique avec la nomination de conseillers indiens auprès du vice-roi britannique et l'établissement de conseils provinciaux comprenant des membres indiens. Cependant, les territoires continueront de protester et de se révolter, jusqu’à l’indépendance accordée à l’Inde en 1947. C’est alors que sera formé la République de l'Inde, une république démocratique et fédérale, avec l’adoption de sa Constitution en 1949.Dynamique de la présence historique de l’islam dans le pays :
L’Islam arrive sur la péninsule indienne à partir de 712, avec le début de la conquête musulmane de l’Inde. La conquête sera néanmoins tenue en échec durant trois siècles par les rois hindous. Aux Xe et XIe siècles, des Turcs et des Afghans envahissent l'Inde et établissent des sultanats. Du XIe au XVe siècle, l'Inde du Nord est dominée par les sultans turco-afghans (sultanat de Delhi), et l'Inde méridionale par les dynasties hindoues Chola et du Vijayanagar. Durant cette période, les deux mondes - l'hindou dominant et le musulman dirigeant - se mélangent et connaissent des influences culturelles croisées.
Le sultanat de Delhi est le royaume musulman qui s'étend sur le nord de l'Inde de 1206 à 1526 à partir de sa capitale, Delhi. Ce sultanat connaîtra son apogée vers 1330, contrôlant quasiment l'ensemble du sous-continent indien. L’empire qui succèdera au sultanat, l'Empire moghol, marquera l’apogée de la présence musulmane en Inde. En place de 1526 à 1858, cet empire s’étendra jusqu’en 1707, date à laquelle il connaîtra un lent et continu déclin, tout en conservant un certain pouvoir pendant encore 150 ans. L’empereur moghol conservera le titre de souverain de l’Inde jusqu’en 1858, lorsque les Britanniques s'empareront du Raj et exileront le dernier empereur moghol.
De nombreux Dalits, ou « intouchables », de religion hindoue, se convertirent à l'Islam sous l'ère de l'Empire moghol, entre 1526 et 1858. La raison principale des conversions était d'améliorer le statut social, en espérant une vie meilleure, et plus égalitaire, alors que rester Dalit impliquait un statut inférieur, où souvent une personne était considérée comme moins que rien, par les autres Hindous, avec la perspective d'avoir les tâches ou métiers les plus ingrats, le tout en vivant souvent dans le dénuement et une grande pauvreté.
Depuis cette période, la religion musulmane est présente en Inde, étant la 2e religion la plus pratiquée, après l’hindouisme. L'Inde comptait 172,2 millions de musulmans en 2011, soit 14,2 % de sa population, ce qui en fait le troisième pays qui compte le plus de musulmans au monde après l'Indonésie et le Pakistan.
Constitution et religions, Constitution et islam :
La Constitution Indienne a été mise en place en 1949, déclarant l’Inde comme une république souveraine, social-démocrate, laïque et démocratique et assure à ces citoyens justice, égalité et liberté. Les termes laïque et social-démocrate furent ajoutés par le 42ème amendement de la Constitution en 1976.
La liberté de religion est un droit fondamental en Inde, garanti par les articles 25 à 28 de la Constitution Indienne. La Cour Suprême Indienne a déclaré que l’Inde était un Etat laïc avant l’amendement de la Constitution, ce dernier ne faisant qu’officialiser ce qui était déjà sous-entendu auparavant.
Tout citoyen indien a donc le droit de pratiquer et promouvoir sa religion librement, cependant de nombreux incidents d’intolérance religieuse ont eu lieu en Inde, donnant lieu à des émeutes et de la violence, comme le Massacre Anti-Sikh à Delhi en 1984, l’exode des Hindous du Cachemire en 1990 ou encore les émeutes Anti-Chrétiens à Odisha en 2008.
Certaines affaires civiles, comme les questions de mariage, d’héritage et de propriété données à travers le Waqf, sont régies par le droit personnel musulman, tradition développée durant la colonisation britannique et intégrée au droit indien par plusieurs amendements.
La Cour Suprême a déclaré que la Sharia et le droit musulman s’appliquaient en priorité au droit civil indien pour les citoyens musulmans. Les musulmans indiens sont donc gouvernés par "The Muslim Personal Law (Shariat) Application Act, 1937" (L’Acte d’Application du Droit Personnel Musulman- Shariat) de 1937). Cet Acte dirige l’application du droit personnel musulman aux citoyens de cette religion pour les questions de mariage, mahr (dot), divorce, dons, waqf, testaments et héritage. Les cours appliquent généralement la loi Sunnite Hanafite pour les Sunnites. Les Chiites sont jugés indépendamment de la loi Sunnite là où le droit Chiite diffère du droit Sunnite.
Système juridique et judiciaire (grandes lignes) :
Le système juridique indien est un système mixte. Malgré une profonde influence de la Common Law, le droit indien est codifié. L’élaboration d’un Code Civil unifié fait toujours débat. Les minorités religieuses, particulièrement la minorité musulmane, s’y opposent. Le droit de la famille demeure éclaté avec une base commune applicable à l’ensemble des citoyens indiens et des règles spécifiques (mariage, filiation, divorce, héritage, etc.) pour chaque communauté religieuse indienne (hindous, musulmans, chrétiens, sikhs, bouddhistes, jains, parses et juifs).
Le système judiciaire est organisé de façon pyramidale : la Cour Suprême indienne, les Hautes Cours des différents Etats fédérés, les Cours subordonnées des Etats fédérés, les tribunaux administratifs et la justice militaire.
La Cour Suprême est composée d’un président (le Chief justice of India) et de 25 autres juges au maximum. Tous les juges sont nommés par le Président indien, sans critères d’âge et de durée fixe pour l’exercice des fonctions. Un juge cesse d’exercer ses fonctions à l’âge de 65 ans ou lorsqu’il est l’objet d’une procédure d’impeachment qui requiert une majorité qualifiée des deux chambres du parlement indien.
Les compétences de la Cour Suprême sont extrêmement étendues. Elle est en charge du contrôle de constitutionnalité. Elle connaît en premier et dernier ressort des litiges entre l’Union et les Etats fédérés ou entre les Etats fédérés. Elle connaît en appel des décisions des Hautes Cours des Etats fédérés qui concernent l’interprétation de la Constitution ou revêtent une importance particulière. Elle peut être saisie en vertu d’une procédure spéciale en matière de droits de l’Homme. Elle peut aussi adresser des injonctions à l’administration et punir pour outrage et dispose enfin d’une compétence consultative vis-à-vis du Président.
En principe, il existe normalement une Haute Cour par Etat fédéré. Cependant, il existe quelques exceptions : les États de Manipur, Meghalaya, Tripura et du Nagaland sont rattachés à la Haute Cour de l’Etat de l’Assam. Une Haute Cour est composée d’un Président et d’autres juges, désignés par le Président indien après consultation du Président de la Cour Suprême, du Gouverneur de l’Etat fédéré concerné et également du Président de la Haute Cour. Les Hautes Cours ont une
compétence d’appel à la fois en matière civile et en matière pénale vis-à-vis des jugements des Cours subordonnées placées dans leur juridiction territoriale.
Au niveau de chaque district, on trouve des tribunaux pénaux présidés par des judicial magistrates (de première ou deuxième classe), dont un désigné par la Haute Cour de l’Etat comme Chief judicial magistrate qui préside le tribunal du même nom. En dehors de ces magistrats qui exercent tous des compétences judiciaires, il existe des executive magistrates qui disposent de pouvoirs quasi-judiciaires. Ils sont nommés par le gouvernement de l’Etat fédéré et sont généralement des fonctionnaires civils qui exercent cette charge en sus de leur métier.
L’organisation de la justice civile est réglée dans le Code de procédure civile datant de 1908 et amendé depuis lors. Dans chaque district d’Etat fédéré, l’organisation des tribunaux civils comporte trois niveaux hiérarchisés. Au niveau le plus bas, on trouve les Munsiff’s courts présidées par des juges subordonnés de troisième et seconde classe. Ensuite, on trouve les subordinate courts présidées par les juges subordonnés de première classe. Enfin, on trouve la Cour du district qui est la juridiction supérieure dans chaque district. En première instance, il existe également de très nombreuses juridictions spécialisées qui traitent de contentieux exorbitants du droit civil commun, par exemple pour les litiges en matière de droit de la famille, fiscale, foncière ou pour les litiges à faible enjeu financier.
Droit de la famille (grandes lignes, textes principaux) :
En Inde, le droit de la famille est gouverné par le droit indien, hérité en grande partie de la colonisation britannique ainsi que du droit hindou qui régit les le statut personnel des citoyens hindous et qui influe dans toutes sortes de domaines, tout comme le droit musulman régit les citoyens musulmans.
La Constitution consacre le droit hindou pour le statut personnel des sujets hindous. Le droit musulman est appliqué aux sujets musulmans depuis le Muslim Personal Law (Shariat) Application Act de 1937. De même, des lois spécifiques régulent le droit personnel des chrétiens, des sikhs et des autres minorités religieuses, sauf à Goa, où un code civil uniforme, d'origine portugaise, est utilisé pour tous. Une loi sur le mariage civil a toutefois été promulguée après l'indépendance : on peut se marier soit au civil, soit selon le droit religieux.
Il existe également des « conseils des anciens », des assemblées locales auto-proclamées qui jugent et appliquent des punitions arbitrairement, sans autorité ni mérite légal. En 2021, deux sœurs auraient été condamnées à être violées par un de ces conseils, après que leur frère se soit enfui avec une femme jugée « interdite ». Cependant, cette condamnation n’a pas été prouvée. Un autre cas est celui d’une jeune femme hindoue de 20 ans, qui a été victime d'un viol en réunion dans l'Est de l'Inde sur ordre d'un conseil de village, en punition d'une relation amoureuse avec un jeune homme musulman. Cette seconde condamnation a, quant à elle, été prouvée et treize hommes, dont le chef du conseil de village, avaient alors été arrêtés dans ce village de Subalpur, à 240 km à l'ouest de Kolkata (on disait autrefois Calcutta).
En février 2016, la Haute Cour de New Delhi a déclaré que les femmes peuvent désormais hériter du titre de "karta" (responsable de famille), jusqu’à-là réservé aux hommes, comme le voulait la tradition. Ce qui signifie que les femmes ont les mêmes droits d’héritage que les hommes, et peuvent depuis lors décider des questions liées à la propriété et, de façon plus générale, des questions liées aux biens de la famille.
De plus, depuis août 2017, les femmes indiennes ont la possibilité de divorcer si leurs maris leur refusent un accès basique à l’hygiène, comme le refus de fournir des toilettes intérieures. Durant la même période, la coutume musulmane de la répudiation express a également été interdite.
Droit de la sexualité (relations hors-mariage, homosexualité, pédophilie, etc.) :
En Inde, un couple ayant des relations sexuelles consenties hors-mariage est considéré de facto marié, car les relations hors-mariage sont perçues comme une déviance.
En 2018, l’adultère a été dépénalisée lorsque la Cour Suprême a aboli la section 497 du Code Pénal qui régissait la question de l’adultère. Depuis, l’adultère n’est plus un crime mais constitue toujours un motif de divorce.
En Inde, toute personne de moins de 18 ans est considérée comme un enfant selon le « Protection of Children Against Sexual Offences Act », et toute relation sexuelle avec un individu de cette catégorie d’âge est considéré comme de la pédophilie, sauf dans le cas où une jeune femme de plus de 15 ans est mariée. En effet, l’article 375 du Code Pénal autorise les relations sexuelles entre une femme de plus de 15 ans et son mari, contredisant l’Act. Cet article autorise donc le viol marital, déclarant que toute relation entre une femme d’au moins 15 ans et son mari n’est pas considéré comme un viol.
La contraception est autorisée pour toute personne de plus de 18 ans et les moyens de contraception sont disponibles facilement. Cependant, étant donné que les relations hors-mariage sont mal perçues, les femmes non mariées ont plus de difficulté à obtenir ces moyens de contraception.
Selon le « Medical Termination of Pregnancy (Amendment)Act, 2021 », l’avortement est autorisé dans les premières 20 semaines de la gestation, si soutenu par l’avis d’un médecin, avec la possibilité d’avorter jusqu’à la 24ème semaine, si un deuxième avis est obtenu. Cela ne prend pas en compte les cas d’anomalies fœtales substantielles. L’amendement autorise également l’échec des moyens de contraception comme motif valide pour un avortement pour une femme non-mariée.
En Septembre 2018, l’homosexualité a été décriminalisée avec l’invalidation de certaines parties de l’article 377 du Code Pénal. Cependant, l’homophobie continue à être un problème, même si des avancées ont été faites dans le domaine, notamment à travers les médias.
Bibliographie indicative :
Banerjee Paula, « Femmes en Inde : législation et réalités. », Diogène 4/2005 (no 212), p. 107-127.
David Annoussamy, Le droit indien en marche, Société de législation comparée.
Robert Deliège, Le Système indien des castes, Presses universitaires du Septentrion, 2006.
Sen, Sarbani (2007). The Constitution of India: Popular Sovereignty and Democratic Transformations. Oxford University Press.
François Gautier, Un Autre regard sur l'Inde, Tricorne, 2000.