Histoire politique et juridique du pays :
Depuis la tentative d’unification du pays et d’ébauche d’un gouvernement central par les Idrissides (788-954), l’évolution des institutions politiques marocaines se caractérise schématiquement par quatre grandes temporalités. La monarchie traditionnelle, avec l’avènement au XIème siècle du sultanat, précède l’instauration du protectorat français dans la zone sud du Maroc et espagnol dans la zone nord, avec une zone internationale à Tanger (1912-1956) qui jette les bases d’une structure étatique moderne. A partir de l’indépendance de 1956, une période d’institutionnalisation progressive du pouvoir s’étale jusqu’à l’institution en 1962 d’une monarchie constitutionnelle et l’adoption de la première Constitution du pays. Depuis cette date, plusieurs constitutions ont été adoptées et les institutions politiques actuelles ont été mises en place. La Constitution du 1er juillet 2011 rompt avec la vision centralisatrice de l’État et indique dans son article 1er que « l’organisation territoriale du Royaume est décentralisée, fondée sur une régionalisation avancée ».
Le système juridique marocain est étroitement lié à l’histoire du pays et aux différentes périodes qui ont vu l’émergence puis la superposition d’un nombre conséquent de strates juridiques. Le système juridique marocain contemporain est en effet le résultat de l’imposition progressive d’une législation nationale unifiée sur l’ensemble des territoires du pays. Le régime politique précolonial, maintenu et consolidé sur la base du Makhzen par le Protectorat, a joué un rôle important dans la construction d’une forme originale d’État-nation qui a permis d’étendre le contrôle étatique sur l’ensemble du Maroc.
L’hégémonie du droit positif issu du protectorat dans le système juridique marocain correspond à la mise en place d’une législation nationale dans le pays. Calqué sur le modèle français de centralisme juridique, ce processus exclut la légitimité de règles non étatiques ; seul l’État peut dès lors produire du droit.
Dynamique de la présence historique de l’Islam dans le pays :
La présence de l’Islam au Maroc remonte aux conquêtes arabes des VI et VIIe siècles .L’arrivée des armées arabes au Maghreb commence par la prise de Tripoli en 643. Par la suite, le Général Uqba Ibn Nafi mène une armée de plusieurs milliers d’hommes à travers l’Afrique du Nord. Se faisant, il progresse rapidement vers le Maroc, puis se dirige vers le sud du pays jusqu’à la vallée du Drâa.
L’islamisation du Maroc se fait progressivement. Au VIIIe siècle, le pays comptait encore de nombreuses concentrations juives, chrétiennes et païennes. L’insurrection Kharidjite de 740 qui partit de Tanger, marque le début de la distanciation de l’Islam du Maroc de celui d’Orient .En parallèle, on assiste également à l’émergence de plusieurs entités berbéro-musulmanes, parfois hétérodoxes, tels que les Burghwata (744-1058), l’Emirat de Sijilmassa (758-1055), et Nekor (710-1019).
L’islamisation du Maroc s’accélère avec la venue de la dynastie des Idrissides (789-985). Son premier souverain, Idriss Ier, petit fils du cousin du prophète Ali bin Abi Talib, porte le titre d’Imam, et s’attelle à propager l’Islam dans le pays. Les Idrissides constituèrent ainsi la première dynastie musulmane à gouverner le Maroc. Ils contribuèrent également à façonner son identité.
La dynastie Almoravide (1040-1147), dynastie amazighe originaire du Sahara, contribua à l’unification politique et religieuse du Maroc. Elle adopte, par ailleurs, l’Islam sunnite malékite. Cette école doctrinale de l’Islam sunnite, issue des enseignements de l’Imam Malik bin Anas (711-795) favorise comme source de jurisprudence les pratiques des premiers habitants de Médine, en plus du Coran, de la Sunna, de l’Ijma‘(consensus) et du Qiyas (raisonnement par analogie). Le malékisme s’installera durablement en Afrique du Nord par la suite.
Dernière dynastie musulmane à Gouverner le Maroc, les Alaouites, originaires du Tafilalet, prend le pouvoir en 1631. Ils affermissent la domination du Palais, le « Makhzen », mais connaissent, au 19e siècle, une longue période d’instabilité, culminant en 1844 par une défaite à la bataille d’Isly contre la France.
L’instauration du Protectorat français en 1912 a grandement contribué à insuffler à l’Islam sa forme actuelle au Maroc. Le Protectorat contribue à la codification du droit, à travers notamment l’adoption d’un Code pénal en 1913. Le régime du Protectorat maintient par ailleurs le Sultan dans son autorité religieuse et ré-ancre la monarchie marocaine dans son caractère chérifien et sacré.
Depuis son indépendance en 1956, l’Islam demeure une caractéristique majeure de la vie sociopolitique marocaine. La constitution marocaine définit l’Islam comme religion d’Etat, et la religion façonne de diverses manières l’arsenal
juridique du pays. La monarchie est indissociable de l’identité islamique du Maroc moderne. Le Roi est considéré comme « Amir al Mu’minin » (Commandeur des croyants) et son rôle en tant que leader religieux est institué dans la constitution du pays (Art. 51).
Le soufisme, le courant mystique de l’Islam, reste actif au Maroc. De nombreuses Tariqa (confréries) continuent d’exister. Constituées autour d’une figure sainte, les confréries jouent un rôle important dans la fabrique sociopolitique du Maroc.
Constitution et religions, Constitution et Islam :
L’invocation de la religion comme justification de sa légitimité est l’un des fondements de l’État moderne marocain. Le système institutionnel et constitutionnel repose sur la centralité de la commanderie des croyants. Dans le même temps, paradoxalement, l’ordre normatif est configuré sans que la charia y soit déterminante.
La Constitution de 2011 rappelle dans son article 3 le statut de religion d’État de l’Islam, mais le pouvoir marocain fonde sa légitimité à l’égard de la nation en recourant également à d’autres attributs basés sur la religion islamique. Ainsi le titre de commandeur des croyants (Amir al-Mu’minin), octroyé historiquement au roi et institutionnalisé dès la Constitution de 1962, lui confère un statut ambigu relevant du pouvoir spirituel aussi bien que du pouvoir politique. Cette position de sacralité de la figure royale permet à ce dernier de se situer au-dessus des enjeux politiques et sociaux du pays en rappelant systématiquement cette référence à la nation marocaine et à l’imaginaire de cette dernière.
Tout en rappelant dans son article 3 le statut de religion d’État de l’Islam, la Constitution de 2011 garantit la liberté d’exercice des autres cultes. Toutefois, dans les faits, la liberté de religion est limitée. Tout Marocain est par défaut considéré comme musulman sunnite à la naissance. Si, dans la sphère privée, les Marocains sont libres de pratiquer leur religion, certaines dispositions légales limitent l’exercice de la liberté de culte en public. C’est notamment le cas pour la rupture du jeûne en public lors du mois de Ramadan, la critique de l’Islam et le prosélytisme.
Une communauté juive existe au Maroc. La présence juive au Maroc remonte au 2e siècle avant JC.. cette communauté a été renforcée à plusieurs reprises, d’abord avec l’arrivée de juifs fuyant les persécutions de l’Espagne visigotique, puis à la suite de la Reconquista espagnole aux XIVe et XVe siècles. A l’indépendance marocaine, la communauté juive marocaine comptait quelque 250000 individus. Son nombre est aujourd’hui estimé à quelque 3000 personnes. Les juifs du Maroc jouissent de la pleine citoyenneté ainsi que de la liberté d’exercer leur culte. Au niveau juridique, les individus marocains de confession juive ne sont pas assujettis au droit marocain de la famille. Deux chambres rabbiniques à Tanger et à Casablanca statuent sur ces questions selon les lois hébraïques.
Système juridique et judiciaire (grandes lignes) :
Le système juridique marocain est aujourd’hui un système de droit positif, influencé à certains endroits par des normes d’origine islamique ou coutumière. La place de chacune de ces sources au sein du système juridique et les rapports qu’elles entretiennent entre elles sont fortement liés à la construction d’une législation nationale à partir de l’établissement du protectorat.
Le pouvoir judiciaire marocain est exercé par des juridictions de droit commun ainsi que par des juridictions spécialisées et d’exception. Les juridictions civiles, pénales, commerciales et administratives appartiennent au même ordre, avec à son sommet la Cour de cassation (antérieurement nommée Cour suprême).
La Cour de cassation (mahkamat al-naqd) est placée au sommet de la hiérarchie judiciaire et coiffe de ce fait toutes les juridictions de fond du pays. Son organisation et sa compétence sont déterminées par la loi du 15 juillet 1974 fixant l’organisation judiciaire du Royaume, le Code de procédure civile, certaines dispositions du Code de procédure pénale et du Code de la justice militaire. La Cour de cassation statue sur les pourvois formés contre les arrêts et jugements rendus en dernier ressort par les juridictions de l’ordre judiciaire.
Droit de la famille (grandes lignes, textes principaux) :
Au Maroc, un nouveau Code de la famille (Mudawwana) est entré en vigueur en 2004. Ce code fixe l'âge minimum au mariage à 18 ans pour les deux sexes. Par ailleurs, la polygamie a été rendue plus difficile : placée sous un strict contrôle judiciaire, pour des situations exceptionnelles, elle implique l'accord de la première épouse. Enfin, le divorce est un droit reconnu aux deux époux, sous contrôle judiciaire.
Le nouveau code de la famille introduit une innovation fondamentale en permettant de donner une filiation paternelle à l'enfant né de parents seulement fiancés: le fiancé est présumé être le père de l'enfant sous certaines conditions (article
156) et la constatation de ce que les conditions sont remplies s'effectue par décision judiciaire non susceptible de recours. Il s’agit en fait de la reconnaissance législative d’un concept préexistant, le rapport sexuel “par erreur”: il y a eu conception à la suite de rapports “par erreur” en ce sens que l'acte de mariage n'avait pas encore été dressé et que le mariage n'était pas officiellement contracté, suite à des circonstances indépendantes de la volonté du couple. Une seconde innovation est introduite: si le fiancé nie que la grossesse lui est imputable, on peut recourir à tous moyens de preuve légaux pour établir la filiation paternelle, dont l'expertise médico-légale.
La nouvelle Mudawwana a créé un formalisme de l’acte de mariage qui n’existait pas précédemment, notamment en imposant la production de divers documents, qui ne sont plus laissés à la discrétion des Adul (notaire religieux), et l’intervention du juge de la famille, qui délivre dorénavant l’autorisation préalable de mariage. Il a été institué un véritable service de l’état civil auprès des sections de la justice de la famille des tribunaux de première instance. L’objectif de cette réforme est d’éviter les fraudes et de faire de l’acte de mariage un outil garantissant la sécurité de toute la famille (droits de l’épouse, des enfants, pension alimentaire, héritage, partage des biens).
Lors de cette importante réforme, l’institution du divorce a été modernisée pour réduire les inégalités entre conjoints. L’introduction du divorce pour discorde (shiqaq) et du divorce par consentement mutuel (al-ṭalaqbi’l-ittifaq) a élargi les possibilités de divorce tant pour les femmes que pour les hommes, et sont même devenus les moyens privilégiés pour une femme de mettre fin à la relation conjugale : un mari se sent forcé de rendre ses demandes raisonnables afin d'empêcher sa femme de recourir à un divorce pour discorde plus coûteux et stigmatisant.
L'introduction du divorce pour discorde a donné aux femmes un outil puissant pour négocier les conditions de la dissolution du mariage. Néanmoins, malgré cette réforme, plusieurs problèmes d’ordre juridique subsistent :
- la répartition des biens acquis durant le mariage reste problématique ;
- la question de la violence faite aux femmes après l’introduction d’une requête de divorce n’est pas couverte ;
- l’absence d’un dispositif de règlement à l'amiable, avec médiation ou conciliation entre les deux époux ;
- le phénomène de renoncement au divorce par les femmes pour cause d'incapacité à subvenir seules aux besoins de leurs enfants ;
- l’absence d’un système de garde partagée pour les enfants ;
- l’existence d’une possibilité de déchéance du droit de garde pour la mère en cas de remariage ou de déménagement dans une localité autre que celle du mari.
Droit de la sexualité (relations hors-mariage, homosexualité, pédophilie, viol, avortement, etc.) :
Au Maroc, les relations sexuelles hors-mariage et l’avortement sont interdits par le Code Pénal, sous peine de prison. L’avortement est criminalisé pour la femme qui le subit comme pour les personnes y ayant contribué (articles 449 à 504 du Code pénal). En 2018, 73 poursuites ont été enregistrées pour avortement. Une proposition d’amendement du Code pénal a été élaborée afin d’élargir le droit à l’avortement aux cas suivants (2015): 1) la femme serait en danger de mort, 2) la femme a été victime de viol ou inceste avéré, et 3) les cas de malformations sévères du fœtus.
Les relations homosexuelles tant féminines que masculines sont illégales et sont punies par la loi marocaine. En ce sens, l’article 489 du Code pénal marocain prévoit une peine d’emprisonnement de 6 mois à 3 ans ainsi qu’une amende pour les personnes ayant eu une relation sexuelle avec un individu du même sexe. Selon les chiffres officiels, 170 poursuites ont été enregistrées pour homosexualité en 2018.
Le terme de « viol » signifie, selon l’article 486 du Code pénal marocain, « l’acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci » ; la punition est la réclusion de cinq à dix ans. Le même article dispose que, « si le viol a été commis sur la personne d’une mineure de moins de dix-huit ans, d’une incapable, d’une handicapée, d’une personne connue par ses facultés mentales faibles ou d’une femme enceinte, la peine est la réclusion de dix à vingt ans. »
Un alinéa de l’article 475 du Code Pénal permettait au violeur d’une mineure d’échapper à la prison s’il épousait sa victime : « Lorsqu’une mineure nubile ainsi enlevée ou détournée a épousé son ravisseur, celui-ci ne peut être poursuivi que sur la plainte des personnes ayant qualité pour demander l’annulation du mariage et ne peut être condamné qu’après que cette annulation du mariage a été prononcée ». Cet alinéa de l’article 475 a été supprimé en 2014 suite à une intense mobilisation de la société civile marocaine et internationale.
L’attentat à la pudeur est défini dans l’article 483 du Code pénal comme « Quiconque, par son état de nudité volontaire ou par l'obscénité de ses gestes ou de ses actes, commet un outrage public à la pudeur…L'outrage est considéré comme public dès que le fait qui le constitue a été commis en présence d'un ou plusieurs témoins involontaires ou mineurs de dix-huit ans, ou dans un lieu accessible aux regards du public. » Le Code Pénal prévoit une aggravation de la peine quand
l’attentat à la pudeur est commis sans violence (article 484) ou avec violence (article 485) sur certaines catégories de personnes : « mineur de moins de dix-huit ans, d'un incapable, d'un handicapé ou d'une personne connue pour ses capacités mentales faibles, de l'un ou de l'autre sexe. »
Bibliographie indicative :
-Abitol M. (2014), Histoire du Maroc, Paris : Tempus Perrin.
-Bras J-P. (2007), « La réforme du code de la famille au Maroc et en Algérie : quelles avancées pour la démocratie ? », Critique internationale, vol. 37, no. 4, 2007, pp. 93-125.
-Mouaqit M. (2012), « Marginalité de la charia et centralité de la Commanderie des croyants : le cas paradoxal du Maroc » dans Baudouin Dupret (dir.), La charia aujourd’hui. Usages de la référence au droit islamique, Paris, La Découverte, coll. « Recherches », p. 141-151.
-Mounir O. (2004), La Moudawana. Le nouveau droit de la famille au Maroc, Editions Marsam.
-Tozy M. (1998), Monarchie et Islam au Maroc, Paris, Presses de Sciences Politiques.