Histoire politique et juridique du pays :
L’histoire de l’Egypte remonte au 4e millénaire av. JC, avec l’unification politique de la Basse et la Haute Egypte sous le règne de Namer. La civilisation égyptienne connaitra son apogée et son expansion territoriale lors du Nouvel Empire (1550 – 1070 BC). L’Egypte tombera par la suite sous l’influence de la Perse achéménide (525-402 av. J.C et 443-332 av. J.C.) puis de la Grèce hellénistique à partir de 332 av. JC.
L’indépendance de l’Egypte prend fin lorsque celle-ci est finalement annexée à Rome en 30 av. J.C. Elle passera par la suite au contrôle de l’Empire romain d’Orient en 395, puis sera conquise par les armées arabes à partir de 639. Cette année marque le passage du pays à la période arabo-musulmane. L’Egypte passera par la suite sous l’emprise de différents pouvoirs, notamment ceux des Califats des Rashidun (632-661), des Omeyades (661-750), des Abbassides (750-935), des Fatimides (909-1171),le Sultanat des Ayyubides(1171-1260) et le Sultanat des Mamelouk (1250-1517). Enfin, elle sera incorporée à l’Empire ottoman à partir du XVIe siècle.
Après une brève période sous occupation française (1798-1801) lors des conquêtes napoléoniennes, l’histoire de l’Egypte moderne commence en 1805 lorsque Méhémet Ali devient Pacha à vie. A ce moment, l’Egypte est officiellement une province de l’Empire ottoman ; cependant Méhémet arrive à obtenir un statut d’autonomie. Seul à détenir le pouvoir, il tente de moderniser l’Egypte tant sur un plan social, qu’économique, politique ou encore religieux et adopte un certain nombre de règlements en matière pénale.
En 1869, le canal de Suez est inauguré, toujours dans cette idée de modernisation qui a émergé soixante ans plus tôt. Au milieu des années 1870, l’Egypte se trouve de plus en plus sous influence britannique et française en raison de l’endettement du khédive Ismaïl. Une révolution menée par le colonel Orabi Pacha en 1882se soldera par sa capitulation et l’occupation du pays par les Britanniques. L’Egypte reste néanmoins une province de l’Empire ottoman et continue à être dirigée par les descendants de Méhémet Ali. Les Britanniques n’ont pas établi officiellement un protectorat mais détiennent le pouvoir dans les faits. En 1914, l’Egypte est détachée de l’Empire ottoman pour être placée sous protectorat britannique. En 1922 elle obtient son indépendance et adopte sa première constitution en 1923.
Dans la nuit du 22 au 23 juillet 1952, après un coup d’Etat mené par le Comité des Officiers Libres, le roi Farouk 1er, jugé corrompu et incapable de redresser l’Egypte, est contraint d’abdiquer. En 1956, Gamal Abdel Nasser devient le second président d’Egypte, après Naguib. La crise du canal de Suez lui permet de rétablir la souveraineté égyptienne sur le canal. L’armée détiendra le pouvoir dans le pays depuis lors, que ce soit avec le président Sadate (1970-1981) ou le président Moubarak jusqu’en 2011 lorsque celui-ci est chassé du pouvoir dans le contexte du “printemps arabe”. A l’issue des premières élections libres organisées dans le pays, Mohamed Morsi, civil issu des Frères musulmans est élu président de la République. En 2013, l’armée le renverse et le général Abdel Fattah al-Sissi prend le pouvoir.
En 1949, le code civil égyptien entre en vigueur, il est principalement codifié par Abdel Razek El-Sanhouri Pacha. Ce code est une révolution dans le monde arabe et est pris en exemple par de nombreux Etats nouvellement indépendants. Bien qu’il s’inspire principalement du code français, il a su le reprendre et le mettre en adéquation avec plusieurs principes juridiques islamiques.
L’Egypte a deux références juridiques principales : le droit français, civiliste et codificateur, et les normes islamiques dont elle s’inspire en particulier pour le droit de la famille. Depuis 1923, elle a eu sept constitutions dont la dernière en vigueur date de 2014.
Dynamique de la présence historique de l’Islam dans le pays :
L’histoire de l’islam en Egypte remonte au VIIe siècle avec les invasions arabes. L’un des califats les plus connus est sans aucun doute celui des Fatimides. Sa date de création est estimée à 909 ; c’est également durant ce siècle que l’université al-Azhar, l’une des plus anciennes institutions d’enseignement islamique, est fondée au Caire. Elle deviendra l’une des plus hautes autorités du monde sunnite musulman.
Durant les conquêtes arabes, de nombreux coptes se sont convertis à l’islam, notamment pour ne pas payer la jizya, les taxes imposées aux “non-musulmans”. L’Islam devient la religion dominante en Egypte, avec cependant une population considérable copte, estimée aujourd’hui à 10 millions d’habitants. La majorité des musulmans égyptiens suivent le rite sunnite. Une minorité shiite existe cependant. Le rite hanafite est le rite officiel en Egypte. L’école shaféite est également très présente.
Durant le règne de Méhémet Ali (1805-1848), un mouvement de pensée religieuse émerge, celui de la “Nahda” c’est à dire de la “renaissance” que ce soit religieuse, culturelle ou littéraire ou encore sociale. C’est notamment Rifa'a al-Tahtawi qui initie ce mouvement en traduisant plusieurs livres issus du “siècle des lumières”. L’une de ses idées principales consiste à s’inspirer de ses différentes visions politiques, sociales, juridiques afin de les adapter à son environnement.
Dans la continuité de ce mouvement, Jamal Al-Din Al Afghani est le fondateur de ce que l’on peut appeler “ le réformisme islamique moderne”. Pour lui, il faut s’inspirer du passé, de l'âge d’or de l’islam ainsi que des moyens scientifiques et technologiques de l’Occident pour avancer ; il n’y a selon lui aucun problème à corréler les deux. Il est également contre l’impérialisme européen dans les pays arabes et musulmans. Il crée avec son disciple Abduh, la revue ”al-‘Urwa al-wuthqa" qui peut se traduire par “le lien indissoluble”. Cette revue est le côté visible d’une société secrète qui entend œuvrer pour l’unité des musulmans et la réforme de l’islam.
Un autre acteur est primordial pour ce réformisme, Hassan el Banna (1906-1949), le créateur de l’association des Frères musulmans, qui est durant la période contemporaine l’une des principales forces politiques du pays. Il vise à politiser l’islam. Il est pour un retour à ce que l’on appelle la Umma islamiya (la communauté islamique). Il souhaite instaurer un Etat islamique qui s’inspirerait du passé mais qui saurait également s’adapter à son temps. Les Frères musulmans seront la plupart du temps perçus comme des ennemis politiques par les différents présidents égyptiens, que ce soit Nasser, Sadate ou encore Moubarak. Leur prise du pouvoir à la chute de ce dernier ne sera que provisoire.
Constitution et religions, Constitution et Islam :
L’Egypte est un pays considéré comme multiconfessionnel. On estime qu’environ 90% de sa population serait musulmane et 10% copte.
La religion d’Etat en Egypte est l’Islam depuis l’adoption de la Constitution de 1923.La nouvelle constitution de 2014 réaffirme l’identité musulmane de l’Etat égyptien. Le préambule de la Constitution de 2014 ainsi que son article 1 définissent le pays comme étant membre du monde musulman.
L’article 2 de cette même constitution énonce que “l'islam est la religion de l'État, l'arabe sa langue officielle et les principes de la sharia islamique constituent la source principale de la législation”. L'article 3 précise lui que “les principes religieux des Egyptiens chrétiens et juifs, sont les principales sources de la législation régissant leur statut personnel, leurs affaires religieuses et le choix de leurs dirigeants spirituels”.
Donc, bien que l’islam soit religion d’Etat, les minorités religieuses chrétiennes et juives sont reconnues et sont sujettes à leurs propres règles en matière de statut personnel. De plus, comme spécifié dans l’article 64 de la Constitution de 2014, la liberté de croyance est absolue. La liberté de la pratique religieuse et l'édification des lieux de culte, toutefois, n’est un droit garanti par la loi que pour les fidèles des religions du Livre.
L’article 7 de la Constitution précise qu’al-Azhar est une institution universitaire islamique indépendante. Il lui revient exclusivement de gérer ses propres affaires. Elle constitue la référence principale pour ce qui concerne les sciences religieuses et les affaires islamiques. Il y a donc une séparation entre le pouvoir exécutif et la religion musulmane. Un grand mufti, ou juriste islamique, est élu par un conseil d’Ulémas et siège au sein de Dar al-Ifaa, institution établie en 1895. Le rôle du grand mufti est de prodiguer des fatwas (édictes religieux) sur différentes questions sociétales.
Le Gouvernement exerce un contrôle sur l’exercice du culte musulman. La majorité des Ulémas (théologiens) sont des employés de l’Etat. Un ministère des affaires religieuses supervise l’exercice du culte. Depuis l’arrivée du général Abdel Fatah al-Sissi au pouvoir, le Gouvernement a adopté plusieurs mesures pour raffermir son contrôle sur les mosquées.
Système juridique et judiciaire (grandes lignes) :
Le système juridique égyptien s’inspire de diverses sources qui sont le droit français (notamment pour le code civil), le droit ottoman, et la « sharia » comme énoncé dans l’article 2 de la Constitution. Le droit français a contribué de manière importante à façonner le droit égyptien à partir du XIXe siècle. Néanmoins, les questions du droit de la famille sont restées sous l’influence des traditions normatives islamiques.
L’Egypte a repris du système français la dualité juridictionnelle avec d’un côté l’ordre administratif (à son sommet le Conseil d’Etat) et de l’autre l’ordre judiciaire (à son sommet la Cour de cassation).
La Haute Cour constitutionnelle statue sur la constitutionnalité des lois et des règlements. Elle arbitre également les conflits de compétences entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif.
La Cour de cassation est au sommet de l’ordre judiciaire égyptien qui comprend également des cours d’appel et des tribunaux de première instance. Son président est aussi à la tête du Conseil supérieur de la magistrature. Depuis 2017, il est désigné par le président de la République parmi les plus anciens vice-présidents de la Cour, pour une durée de 4 ans.
Le Conseil d’Etat est en charge du contentieux administratif. Il assure également une fonction de conseil pour les institutions publiques dans la rédaction de décrets ministériels et contrats administratifs, même si ses attributions ont diminué lors des amendements constitutionnels de 2019.
Les tribunaux religieux des musulmans et des non-musulmans, en charge du contentieux en matière de statut personnel, ont disparu lors de l’unification du système judiciaire en 1955. Des tribunaux mixtes (majalis mukhtalita) créés en 1876, composés de juges européens et égyptiens et chargés du contentieux en matière civile et commerciale entre ressortissants étrangers et égyptiens, ont disparu en 1949.
En matière pénale, la codification du droit égyptien initiée par Méhémet Ali s’est intensifiée au XIXe siècle. Un code pénal a été promulgué en 1852, façonné sur le Code pénal ottoman de 1851. Il a été remplacé en 1883 par un nouveau code façonné sur le modèle du code pénal français, à destination des tribunaux indigènes (ancêtres des tribunaux nationaux) nouvellement créés. Ce code a été remplacé en 1904, puis en 1937. Ce dernier, amendé plusieurs fois, reste en vigueur aujourd’hui.
Droit de la famille (grandes lignes, textes principaux) :
La codification du droit de la famille en Egypte est le fruit d’un long processus qui suit toujours son cours. L’unification du système judiciaire en 1955 n’a pas été suivie d’une unification législative. Chacune des 14 communautés religieuses non musulmanes reconnues peut continuer à appliquer ses propres règles en matière de statut personnel, à condition que les deux parties soient de même communauté et de même rite. Dans le cas contraire le droit commun, à savoir le droit de la famille des musulmans, s’appliquera. Cela signifie que si deux personnes de communauté ou de rite différents ont un litige juridique en matière de droit de la famille, le juge devra se référer au droit commun pour en connaître. Le droit de la famille de la plupart des communautés chrétiennes étant très restrictif en matière de dissolution du mariage, il arrive fréquemment que des chrétiens changent de communauté religieuse ou de rite pour se voir appliquer les règles du droit de la famille des musulmans, qui permet à l’homme de répudier son épouse et à la femme de demander le divorce sur de nombreux fondements.
Le droit commun de la famille, qui est celui des musulmans, a été mis par écrit dans différentes lois (loi n° 25 de 1920 et loi n° 25 de 1929 telles qu’amendées en 1985 par la loi n° 100, loi procédurale n° 1 de 2000), mais ces textes n’ont pas été repris sous forme de code.
Depuis 2008 (amendement de la loi sur l’enfance), l’âge l’égal du mariage est de 18 ans, que ce soit pour les femmes ou les hommes. Conformément aux règles de l’école hanafite, la femme majeure peut se marier sans avoir à obtenir l’accord de son tuteur.
Un homme peut répudier sa femme verbalement en vertu des lois de 1920 et 1929, telles qu’amendées en 1985. Cependant, il faut que cela soit formulé par écrit auprès du notaire compétent pour enregistrer les contrats de mariage et les actes de répudiation (ma’dhun) et que l’épouse répudiée en soit informée. Si la répudiation est jugée abusive par le juge, il peut être condamné à verser une compensation financière à son ex-femme d’un montant au moins égal à deux ans de pension d’entretien.
Les lois de 1920 et 1929 ont également introduit la possibilité pour la femme de demander le divorce (tatliq) sur différents fondements (préjudice matériel ou moral, maladie mentale ou corporelle grave du mari, absence ou emprisonnement de l'époux, non-versement de la pension d’entretien par le mari). Depuis 1985 elle peut également demander le divorce en cas de polygamie mais doit prouver avoir subi un préjudice. Depuis 2000, elle s’est vue reconnaître la possibilité de rompre unilatéralement son mariage (khul’), sans avoir à prouver l’existence d’un préjudice, mais devra renoncer à tous ses droits financiers et restituer la don nuptial reçu au moment du mariage.
Il est possible pour l’homme égyptien d’être polygame. Il n’est pas tenu de prévenir son épouse s’il souhaite se marier avec une autre mais depuis 1985, le notaire doit en informer la première épouse par lettre recommandée avec accusé de réception. Elle peut demander le divorce dans l’année suivant cette notification, si elle peut prouver avoir subi un préjudice en raison de ce second mariage.
Droit de la sexualité (relations hors-mariage, homosexualité, pédophilie, viol, avortement, etc.) :
Homosexualité :
Avoir des relations sexuelles hors mariage est illicite en même temps que condamné socialement. L’illicéité des relations sexuelles non matrimoniales est fondée sur l’assimilation des relations sexuelles entre deux personnes à une forme de « débauche » (fujur). Il en est de même pour l’homosexualité, qui n’est pas interdite explicitement en Egypte mais est, dans les faits, réprimée. Pour cela, les juges se basent sur la loi 10/1961 sur la prostitution, qui criminalise la "débauche habituelle", pour inculper les personnes qu'elles soupçonnent d'avoir un comportement homosexuel. Cette loi peut condamner un individu de 3 mois à 1 an de prison ainsi qu’à une amende.
Relations hors-mariage :
L’art. 274 du Code pénal prévoit qu’une “femme mariée dont l'adultère est établi sera punie d'une détention pour une période n'excédant pas 2 ans. Cependant, son mari peut demander à suspendre l'exécution de cette décision par son consentement à ses rapports sexuels avec lui”.
L’article 277 du Code pénal précise quant à lui que “tout mari qui commet un adultère dans la maison conjugale et qu'un tel adultère est établi contre lui par la poursuite de l'épouse, sera puni d'une détention pour une période ne dépassant pas six mois”.
Viol et pédophilie :
L’article 267 du Code pénal modifié en 2006 indique que “quiconque couche avec une femme sans son consentement sera puni de la peine de mort ou de la réclusion à perpétuité. Si la victime avait moins de 18 ans ou si le criminel est des ancêtres de la victime, ou des personnes chargées de l'élever, de l'observer ou d'avoir du pouvoir sur elle, ou est un serviteur rémunéré pour elle ou pour les personnes susmentionnées, ou s'il y avait plus d'un criminel, la punition est la peine de mort”.
Dans une décision de juridiction de 1928, il a été statué qu'une femme ne peut pas refuser des relations sexuelles à son mari sans raison valable selon la charia.
En 1999, l’article 291 du code pénal appliqué a été abrogé. Cet article permettait à un violeur ou à un kidnappeur d'échapper à toutes poursuites judiciaires s'il se mariait avec sa victime.
Avortement :
En vertu des articles 260 à 263 du Code pénal, l’avortement n’est pas permis et est sanctionné soit par de la prison soit des travaux forcés. L’article 260 précise que “quiconque provoque intentionnellement l’avortement d’une femme enceinte par des coups ou d’autres types de blessures similaires sera puni de travaux forcés temporaires”. Il est possible cependant à la femme d’avorter en cas de viol et si cet acte peut lui sauver la vie dès lors que l’accouchement lui serait fatal.
Bibliographie indicative :
Dupret, Baudouin et Bernard-Maugiron, Nathalie, « Droits d'Égypte : histoire et sociologie », Égypte/Monde arabe,Première série, 34 | 1998, mis en ligne le 08 juillet 2008.
Fahmi, Hoda, Chapitre second. La lettre de la loi et l’esprit du temps In : Divorcer en Égypte : Étude de l’application des lois du statut personnel [en ligne]. Le Caire : CEDEJ - Égypte/Soudan, 1987.
Kreil, Aymon, « Dire le harcèlement sexuel en Égypte : les aléas de traduction d’une catégorie juridique », Critique internationale, 2016/1 (N° 70).
Tobich, Faïza , Chapitre I. Le statut personnel égyptien, le choix des équilibres incertains In : Les statuts personnels dans les pays arabes : De l’éclatement à l’harmonisation [en ligne]. Aix-en-Provence : Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2008.