Contexte et objectifs du projet
Dans un contexte de forte présence musulmane en France et en Europe, de très grande médiatisation des questions et événements touchant à l’islam et d’une effervescence du discours sur la « charia », il apparaît indispensable de mieux saisir comment l’islam se formule aujourd’hui dans les termes du droit. Cela vaut pour les pays où la majorité de la population est sociologiquement ou convictionnellement musulmane comme pour ceux où les musulmans, sociologiques ou de conviction, forment une minorité. Il est important, en effet, dans le premier cas, de mieux comprendre comment l’islam y influence le droit, mais aussi comment le droit moderne y a transformé l’islam, non pas seulement pour le plaisir de la connaissance, mais aussi parce que les populations originaires de ces pays ne migrent pas sans transporter avec elles certaines conceptions de la religion, du droit et de leurs relations, conceptions dont il est fondamental de prendre la mesure. Mais il est aussi important, dans les contextes où l’islam est minoritaire, à commencer par la France, de s’interroger sur une double question : celle des représentations du droit que les justiciables musulmans véhiculent dans leurs rapports à la justice ; celle des représentations que les acteurs du droit, en tête desquels les juges, peuvent avoir de l’islam et de ses normes.
Ce projet a pour ambition de décrire et analyser la question de la saisie de l’islam par le droit positif. Nous appelons cela la « positivisation de l’islam ». Pour ce faire, différents cas d’étude sont sélectionnés dont l’analyse suit des déclinaisons contrastées en fonction des temporalités historiques, de la position démographique de l’islam, de la nature politique des régimes et des domaines du droit concernés. Pour chacun de ces pays, choisis en fonction de la place que l’islam y occupe, la positivisation juridique de l’islam est étudiée dans sa profondeur historique, dans le domaine du droit des mœurs, en fonction de son contexte politique et à travers ses pratiques législatives et judiciaires.
Le premier objectif est la constitution d’une base de données. Cette base doit collecter les textes législatifs, les décisions judiciaires, les documents juridiques et les études scientifiques, entre le début du 19e siècle et le moment présent, selon les temporalités propres à chaque Etat. La base de données est conçue de manière à être consultable par toutes les personnes demandant à faire partie du réseau de chercheurs créé en même temps que le projet est lancé.
Le deuxième objectif est analytique. Il s’agit, pays par pays, de produire des analyses du phénomène de positivisation juridique de l’islam, dans le but de montrer à la fois comment ces pays se rattachent à une dynamique globale et comment ils suivent une trajectoire qui leur est propre. Il s’agit aussi de voir comment cette question se conjugue, selon la chronologie dans laquelle s’intègre chaque Etat, en fonction entre autre des contextes politiques, et les domaines du droit considérés.
Le troisième objectif est ethnographique. L’ambition est de produire, sur certains cas choisis et accessibles, des descriptions des affaires qui aillent au-delà des seules décisions de justice. Il convient alors de suivre la séquence de leur déroulement, l’intervention des différents protagonistes, la production de la pertinence juridique, la prise en compte des contraintes procédurales, l’insertion de la décision dans des réseaux dialogiques dépassant l’instance judiciaire. Ce travail est ethnographique dans un sens particulier : il vise à la description de l’ensemble des pratiques constitutives de l’activité spécifique des protagonistes d’une affaire particulière. Le dossier de l’affaire est son point d’entrée privilégié.
Le quatrième objectif est d’ordre théorique. Il porte sur trois questions spécifiques : la positivisation juridique, ce que le droit fait à l’islam, la relation entre régime politique et traitement juridique de l’islam. Sur ces trois questions, on fait l’hypothèse que la collecte de données et les études de cas permettront le développement de certaines généralisations et formalisations. Il s’agit donc de faire converger histoire du droit, anthropologie des pratiques juridiques et théorie générale du droit, avec l’ambition de produire une théorie sociohistorique du droit porteuse d’un nouveau comparatisme mettant en perspective les droits positifs des Etats contemporains.
Le projet s’inscrit dans une des priorités de la Région, à savoir la « structuration de recherches thématiques, pluridisciplinaires ou interdisciplinaires, proposées dans le cadre de coopérations régionales inter-site universitaires offrant des perspectives de retombées pour le territoire régional ». Elle associe en effet au LAM (IEP Bordeaux) un centre de recherche (Centre Aquitain d’Histoire du Droit, Université de Bordeaux) et un Master (Master de Droit des Echanges Euro-Méditerranéens, Université de Bordeaux). Elle s’appuie en outre sur un partenariat avec l’Institut de découverte et d’étude des mondes musulmans de Bordeaux. L’Ecole nationale de la magistrature a aussi été sollicitée sans qu’il n’ait été possible de finaliser en temps un partenariat. Notons enfin que le projet s’inscrit dans les grands défis sociétaux dans la mesure où la question de l’intégration des populations musulmanes relève de l’ambition de développer une société plus inclusive et participative.